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L'assiette au beurre : La misère du cheval - page 5
Un cheval s'effondre ,exténué ,en trainant une charge trop lourde ; le charretier s'acharne sur lui à coups de fouet :dessin de steinlen.

Dessin de Steinlen

suite . . .

Le pesant charriot porte une énorme pierre;
Le limonier, suant du mors à la croupière,
Tire et le roulier fouette, et le pavé glissant
Monte, et le cheval triste a le poitrail en sang
Et tire , traine, geint tire encore et s'arrete.
Le fouet noir tourbillonne au dessus de sa tete.
C'est lundi : l'homme hier buvait aux Porcherons
Un vin plein de furreur, de cris et de jurons,
Oh quelle est donc la loi formidable qui livre
L'etre à l'etre, et la bete effarée à l'homme ivre!
L'animal éperdu ne peut plus faire un pas;
Il sent l'ombre sur lui peser; il ne sait pas,
Sous ce bloc qui l'écrase et ce fouet qui l'assomme,
Ce que lui veut la pierre et ce que lui veut l'Homme.
Et le roulier n'est plus qu'un orage de coups
Tombant sur ce forcat qui traine les licous,
Qui souffle, et ne connait ni repos ni dimanche.
Si la corde se casse, il frappe avec le manche,
Et si le fouet se casse, il frappe avec le pied;
Et le cheval tremblant, hagard, estropié,
Baisse son cou lugubre et sa tete égarée.
On entend sous les coups de la botte ferrée,
Sonner le ventre nu du pauvre etre muet;

Il rale ; tout à l'heure encore il remuait,
Mais il ne bouge plus et sa force est finie.
Et les coups furieux pleuvent.Son agonie
Tente un dernier effort : son pied fait un écart,
Il tombe, et le voila brisé sous le brancard...

Et dans l'ombre, pendant que son bourreau redouble,
Il regarde Quelqu'un de sa prunelle trouble
Ou on voit lentement s'eteindre, humble et ternie,
Son oeil plein des stupeurs sombres de l'infini
Ou luit vaguement l'ame effrayantes des choses.
Helas !......

 

Victor Hugo